L’oeil le plus aiguisé de l’ouest

Dans cette interview de Paths, la cheffe d’équipe de texture Jessica Vallée décrit son parcours professionnel, de ses débuts à la gestion d’équipe, avant de donner des conseils aux aspirants artistes de texture.

Qu’est-ce qui t’a amené à vouloir travailler dans ce domaine?
Le premier film de Jurassic Park. Quand je l’ai vu, j’ai décidé que je voulais faire des dinosaures. Mon père s’était renseigné et m’avait dit que si je voulais faire des dinosaures je devais apprendre à faire de la 3D . Ça fait douze ans que je travaille dans le domaine et, malheureusement, je n’ai toujours pas fait de dinosaures!

Parles-nous de ton parcours. Comment tu t’es rendue jusqu’ici?
Quand j’étais au secondaire, j’ai dit à mon orienteur que je voulais faire des dinosaures en 3D. Il m’a annoncé que, pour ce faire, je devais aller au Cégep du Vieux Montréal en 3D. Je n’ai pas réussi à faire l’examen d’entrée, mais je suis quand même venue à Montréal et j’ai commencé des études en graphisme. Par la suite, mon frère m’a parlé du centre NAD, qui était privé à l’époque. J’étais déjà sur le marché du travail dans un autre domaine, et je redoutais un retour aux études dans un cours privé. J’ai donc décidé de commencer par le certificat numérique qui était offert au centre NAD et qui, par magie à la fin de mon cours, s’est transformé en la première cohorte de leur cours universitaire.

Peux-tu nous expliquer en quoi consiste le travail d’artiste de texture?
Chez Cinesite nous travaillons exclusivement sur la texture. On reçoit l’asset du modeling avec les UV déjà faits. Par la suite, on utilise les références du client, qui viennent généralement du tournage, pour créer les textures les plus fidèles à la réalité possible. Il faut tout matcher : la couleur, la poussière, les égratignures, le type de matériaux, la réflexion que l’objet va créer, etc. C’est l’équivalent de faire un emballage cadeau personnalisé qui s’adapte parfaitement sur un objet.

Peux-tu nous en dire plus sur ton rôle?
En tant que Lead, j’assiste aux réunions pour savoir ce que le client veut et pour m’assurer que les artistes ont les tâches adéquates et que les notes sont appliquées aux bons assets. Avant une réunion, je regarde les assets des artistes et toutes les passes de textures et je m’assure que tout fonctionne. Finalement, quand les artistes ont des enjeux technologiques ou artistiques, je les aide à trouver des solutions.

Quel est ton aspect préféré de ton travail?
Je suis une personne qui adore enseigner et résoudre des casse-têtes. Pour le côté enseignement, après douze ans de métier, il y a des petites choses que j’ai apprises et que j’aime transmettre, comme comment lire les subtilités dans les références. En général, c’est justement ce qui est plus difficile à aller chercher. Par exemple, l’artiste va regarder un mur et se dire: « ah, je vais mettre une couleur, un petit bump et mon mur, sera fait.» Mon rôle comme mentor c’est de dire : « Non, non, regarde dans le bas, il y a un petit peu de poussière. Si tu prends la référence, tu changes le contraste ». Et là, tout d’un coup, tu vois la démarcation de poussière ou d’humidité dans le bas. En changeant la saturation, des coulisses ou des taches qu’on ne voyait pas avant apparaissent. C’est quelque chose qui s’enseigne parce que c’est difficile de comprendre par soi même la différence entre ce qu’on perçoit et ce qu’on voit.

Puis au niveau casse tête, c’est plutôt quand les artistes ont des problèmes et que quelque chose qui ne marche plus. Mon rôle est d’ouvrir leur scène et de trouver ce qui ne fonctionne pas et de les rassurer. Je trouve ça gratifiant d’être un support technique et moral pour les artistes.

Est-ce qu’il y a des choses que tu mets en pratique pour t’assurer de continuer à grandir dans ton métier?
Oui, j’ai mes youtubeurs préférés que j’aime suivre. J’’affectionne spécialement Harvey Schneider qui fait de nombreux tests avec Arnold – le moteur de rendu que j’utilise habituellement d’une compagnie à une autre. Il explique les matériaux, comment utiliser les différents presets, alors j’écoute souvent ses tutoriels. J’aime aussi faire du dessin digital. C’est une belle façon d’aiguiser son œil et son coup de crayon pour faire des textures.

Pour les étudiants intéressés à entrer en texture, qu’est-ce qui fait en sorte qu’une bande-démo se distingue selon toi?
Une chose importante à savoir c’est que ce n’est pas la longueur du démo qui va faire en sorte qu’il soit bon ou non, mais plutôt son contenu. Je préfère voir un démo plus court avec des shots ou des assets qui sont forts que d’en avoir un plus long et d’avoir des éléments plus faibles dedans. Malheureusement, il y a de fortes chances qu’on reste accrochés sur les éléments plus faibles. Par exemple, si vous avez des véhicules magnifiques, mais qu’il y a un personnage qui ne fonctionne pas bien, on risque d’avoir une réticence. Ça crée un biais sur tout le reste. Au contraire, quand vous avez un démo court, mais avec des éléments plus contrôlés, plus forts, on voit le potentiel. Aussi, ne mettez pas de musique extravagante. Certaines personnes jugent sur la musique, donc mieux vaut éviter d’en mettre.

De façon plus générale, c’est important d’avoir au moins un asset avec une référence pour montrer à quel point on est capable de se rapprocher de ce qu’on veut faire. Montrer les différentes maps de texture peut être aussi une bonne option (diffuse, spec roughness, bump, etc).

Quels sont les outils et logiciels importants à maîtriser?
En texturing, il faut avoir une base en UV. Les logiciels les plus courants sont Maya, Rizom et UV layout. Après ça, il faut connaître les logiciels de textures. En général, les compagnies vont utiliser Substance Painter, Substance Designer et Mari. Ce sont les principales que j’ai vu dans ma carrière. Une base en photoshop pour être capable de modifier une texture est aussi un plus.

En début de carrière, quelles sont les aptitudes ou les qualités nécessaires pour percer dans l’industrie?
À force égale, ce qui est déterminant pour moi c’est le caractère. Un junior qui pose des questions, qui veut apprendre et qui est enthousiaste va souvent avoir plus d’attention des séniors et progresser plus vite. Avoir une bonne chimie dans l’équipe c’est important, donc un junior intéressé et motivé, on va vouloir le ou la garder parce qu’on sait que son caractère va lui permettre d’évoluer à vitesse grand V.

Après ça, il faut un oeil artistique et être capable de décortiquer une référence. Ça peut sembler niaiseux, mais les jeux de « trouver les 7 erreurs » peuvent être un bon exercice. Être capable de voir les petits détails, c’est ce qui fait la différence. Quand un artiste a bien suivi sa référence, je m’attarde sur les petits détails : est-ce que la petite poussière, la coulisse de rouille et la tâche de graisse dans le coin de l’image de référence sont bien là ou non?

Est-ce que il y a des erreurs que tu vois souvent se répéter chez les juniors?
Les deux pires erreurs sont de vouloir faire les choses trop rapidement et par soi-même. Souvent les juniors vont être gênés et ne vont pas vouloir poser de questions. Ils vont passer des heures sur quelque chose alors que le sénior ou le lead à côté aurait pu leur expliquer la bonne façon de faire qui aurait pris la moitié du temps. Sinon ils publient trop vite sans avoir regardé leur modèle et là tout est cassé et explose. Faut y aller bien et à son rythme et ne pas avoir peur de demander de l’aide.

Un dernier conseil pour les aspirants artistes?
Faites quelque chose qui vous passionne et qui va vous donner envie de vous lever le matin. Il y a toujours des crunchs en fin de projet, on ne s’en sauve pas. Donc c’est important d’aller chercher quelque chose qui vous motive, qui est intéressant et que vous avez envie de faire.