Trouver ce qui nous anime - Animatrice Lead

Dans cet entretien, Adeline Grange, animatrice Lead, décrit son parcours professionnel, de son premier intérêt à la direction d’équipes, avant de donner des conseils aux aspirant(e)s animateur(rice)s.

Est-ce que tu peux me dire un peu pourquoi tu as décidé de travailler en animation?
Alors c’est un peu un hasard. Moi j’ai commencé avec des études de médecine, mais je n’y étais pas très heureuse et j’ai découvert une école d’animation près de chez moi et j’ai fait le grand saut. C’était à un moment où j’étais fascinée par l’animé japonais, donc j’en regardais beaucoup. Je n’ai jamais vraiment arrêté de regarder des dessins animés ou de dessiner depuis que je suis enfant. Et donc, je suis allée au lycée technique des Arts et Métiers au Luxembourg où j’ai découvert tous les métiers de l’industrie de l’animation et où j’ai étudié la 2D. Et après, j’ai passé le concours des Gobelins à Paris et j’ai eu la chance d’être admise. Donc j’ai fait ma seconde formation en animation là-bas. C’est une formation de trois ans où on apprend à la fois la 2D et la 3D. C’est là-bas que j’ai appris que je voulais devenir animatrice. Aux Gobelins, le cursus incluait des stages, je suis donc allée à Londres chez Framestore entre ma deuxième et ma troisième année. Juste après les Gobelins, je suis retournée travailler chez Framestore puis j’ai rejoint Illumination Macguff à Paris pendant quelques années avant de finalement m’installer à Montréal.

Est ce qu’il y a un parcours typique pour entrer en animation?
Il y a plein de routes possibles. La plus directe, c’est évidemment de devenir animateur junior en sortant de l’école. Cela dit, j’ai vu d’autres parcours, des personnes qui sont passées par le layout d’abord, mais qui se sont pris d’amour pour l’animation et qui, parce qu’elles avaient déjà le niveau, arrivaient à rejoindre le département d’animation. Il y a aussi l’animation qu’on appelle crowds qui concerne les personnages de foule en arrière-plan. Souvent, on peut commencer par la crowd en junior, parce qu’en fait c’est souvent considéré comme « plus facile » même si on a aussi besoin de seniors en crowd. Mais souvent ces juniors qui sont crowd peuvent ensuite être propulsés vers l’animation.

À quoi ressemble une journée typique en animation?
On va d’abord caster l’animateur sur un shot, souvent par rapport à son niveau – junior, intermédiaire ou senior. Lorsque l’on attribue un shot, on donne aussi le nombre de jours de travail alloués. Ça s’appelle les Bid Days et en général, le réalisateur a donné ses directives lors du launch de la séquence (les intentions d’acting, les timings…) sur laquelle les animateurs vont travailler. Le plus important, c’est de savoir ce qui se passe dans la séquence avant et après le plan, de façon à bien cibler les intentions et de savoir dans quel état d’esprit est le personnages et ce qu’il fait. Une fois qu’on sait ce qu’on doit faire, l’idée ce serait de filmer un peu de référence, de la faire valider par son lead et son superviseur. On va ensuite ouvrir notre scène dans Maya et on va commencer à faire ce qu’on appelle le blocking. Lors du blocking, l’animateur place quelques poses tout au long du plan, ce sont les poses clés (celles qui «racontent» le plan). Cette étape est suivie par celles du spline et enfin du polish. Chaque étape est validée par le superviseur d’animation et le réalisateur dans des meetings qu’on appelle dailies ou director reviews. C’est comme ça qu’on fait progresser et qu’on va finaliser le plan jusqu’à ce qu’il soit envoyé au département suivant.

Qu’est ce qui te nourrit le plus et qu’est ce qui te challenge le plus dans ton travail?
Mon plus grand challenge c’est le syndrome de l’imposteur. Même aujourd’hui, en tant que lead, quand je reçois un plan et que je dois donner mon avis, ça me fait un peu peur parfois. Je me demande ce qui va se passer si je me trompe ou si je manque quelque chose qui me semble essentiel. Et ça, c’est difficile parce que on n’a pas envie d’emmener son équipe sur une fausse piste. Mais c’est normal de se tromper parfois. Il y a 1000 façons de jouer une ligne ou un sentiment et on ne peut pas viser juste à tout les coups. Ce qui est gratifiant, c’est de voir un animateur qui s’éclate sur son plan, qui s’amuse, qui est content de ce qu’il a fait et de comment il a participé au film et à la production. Ça c’est super de savoir qu’on l’a guidé et qu’on a su répondre à ses problématiques pour qu’il puisse tirer le maximum et s’amuser.

Quel a été ton projet préféré chez Cinesite jusqu’à présent? Et pourquoi?
Je travaille chez Cinesite depuis 2022. J’ai eu la chance de travailler sur quatre projets: Iwaju, Animal Farm et Smurfs (longs-métrages) ainsi qu’un joli test pour un studio partenaire. Ce sont tous des projets très différents. Iwaju et Animal Farm ont réussi à répondre à des besoins que j’avais personnellement. Pour Iwajù, Je revenais d’un congé maternité, donc j’avais besoin d’une production qui soit confortable, fiable, rassurante, enveloppante, chaleureuse. Et c’était exactement ça. Ce show, était incroyable. J’ai jamais vu une production filer aussi droit. J’avais besoin de ça à ce moment là pour pouvoir reprendre confiance en moi. Et pour Animal Farm, c’était un moment de ma vie où ma fille avait grandi, j’étais moins fatiguée, j’étais plus sûre de moi et j’ai pu redevenir lead à ce moment là. C’était très challengeant à plein de niveaux, mais c’était à un moment où j’avais l’énergie pour y répondre et donc c’était parfait.

Comment tu trouves l’expérience d’être une jeune mère dans cette industrie?
Je ne vais pas dire que c’est facile parce que ce n’est pas facile, mais je me suis sentie soutenue en tant que jeune maman. J’étais Lead Animatrice avant de devenir maman. Au retour de mon congé maternité, je n’avais pas l’énergie pour gérer une « équipe » à la maison et une autre au studio. Je pouvais être animatrice, mais je n’avais pas envie d’être chef d’équipe. En tant qu’animatrice, c’était super parce que j’avais un lead qui était bienveillant sur le sujet. La production m’a toujours soutenue et je ne me suis jamais sentie jugée si j’étais absente, même si moi ça me faisait culpabiliser parce que l’une de mes forces principales, c’est la fiabilité. Au sein du studio, j’ai toujours eu un rapport hyper chaleureux avec la production et les ressources humaines. Je pense que sincèrement, je suis tombée dans une très très belle compagnie pour mon retour de congé maternité et je n’aurais pas pu espérer mieux. Je souhaite à toutes et à tous les jeunes parents d’être auss

i bien soutenus.

Et maintenant, pour les étudiants intéressés à travailler en animation, est-ce qu’il y a des éléments que tu trouves vraiment importants à mettre dans une bande démo en animation?

Oui, je pense qu’ il faut être capable de démontrer qu’on a un bon sens de l’acting. Parce qu’après tout, un animateur c’est un acteur derrière un écran. Il faut savoir comprendre les personnages et exprimer des émotions. On doit être capable de faire des choix qui soient justes, honnêtes, sincères, qui résonnent avec le personnage, mais il faut aussi biencomprendre les body mechanics. Être capable de faire bouger un personnage qu’on voit de la tête aux pieds, c’est hyper important. Et c’est souvent le point sur lequel les animateurs sont un peu moins forts parce que c’est vraiment très difficile. En tant que senior, aujourd’hui, j’ai encore des difficultés sur des shots en body mechanics parce que ça va chercher très loin dans la réflexion. Mais c’est important de montrer qu’on est capable de le faire.

Et as-tu des conseils pour s’améliorer en body mechanics?
Alors, un personnage, ça bouge. Il faut donc bouger et ne pas hésiter à mimer, à jouer l’action soi-même. Au début, on se sent un peu ridicule, mais c’est essentiel. Il y a souvent des salles de référence qui sont dédiées aux animateurs. Il ne faut pas hésiter à aller dans cette salle de référence pour répéter le mouvement et essayer de le comprendre, on peut aussi se filmer. Ça peut être tout bête, mais si je dois me lever d’une chaise, est-ce que je comprends ce qui se passe? Où est ce que je mets mes pieds? Comment? Quels sont les muscles qui s’actionnent?C’est super important de mîmer l’action. Si on reste assis sur sa chaise… Il y a de fortes chances qu’il ne se passe rien, et qu’on ne comprenne pas le mouvement. Donc faire les mouvements soi-même permet de s’approprier leur mécanique. Donc c’est vraiment l’observation et l’attention aux détails qui vont beaucoup aider.

Est ce qu’il y a des erreurs que tu vois souvent, que ce soit au niveau de la durée ou du type de matériel qui est mis dans la bande démo?
Il y a deux erreurs communes : faire bande démo trop courte où on n’a pas l’occasion de voir ce que tu sais faire ou faire une bande démo trop longue où on s’ennuie. Et ça nous montre aussi qu’on n’est pas capable de faire les choix des plans qui sont vraiment très intéressants. Une autre erreur, ce serait d’ajouter de la musique par-dessus une bande démo. Il faut savoir que la personne qui va regarder les bandes démo, elle va en regarder plein et au bout d’un moment, la musique, c’est fatigant. Il ne faut pas hésiter à demander conseil autour de soi. Si on a accès à d’autres animateurs, à son superviseur, à son lead, tout le monde peut aider à faire une bande démo parce que parfois on est souvent trop critique avec son travail.

En quoi un peu la 2D est un avantage aussi en 3D?
Oui, c’est un avantage parce que l’animateur 2D fait très attention à la force de ses poses, à l’expression, parce que c’est vraiment un dessin qu’il doit créer de la tête aux pieds. Dans l’animation 3D, on a la marionnette qui est déjà toute faite, donc on n’a plus qu’à la poser et souvent on prend moins de temps et on fait moins attention à la pose. Et puis aussi parfois pour certains animateurs, c’est plus simple de faire un brouillon rapide en 2D avant de se lancer dans la 3D. Ça peut aider aussi à dégrossir une idée, avoir une idée du timing et du rythme qu’on veut donner à un plan. Moi je travaille beaucoup avec des draw over. C’est-à-dire que les animateurs m’envoient leurs plans et je réanime en 2D par dessus. C’est plus simple pour moi que d’utiliser 650 mots pour dire la même chose.

Est-ce qu’il y a un conseil que tu aurais aimé avoir quand tu étais étudiante toi même?
Oui, j’aurais aimé qu’on m’apprenne à négocier mon contrat et mon salaire. Parce que quand on est junior et qu’on débarque sur le marché du travail, on est des proies faciles. J’en ai fait les frais et c’est déstabilisant. C’est frustrant, parce qu’on se rend compte après qu’on a mal négocié son contrat. Négocier son contrat, son salaire, c’est hyper important. C’est faire respecter son travail, la valeur de son travail et instaurer une relation de confiance avec son employeur.

Est-ce que il y a des qualités pour toi qui sont importantes pour travailler dans l’industrie en général?
La communication, parce que l’animation c’est vraiment un travail d’équipe. On est en contact avec tout un tas de monde en tout temps et dans tous les départements. Il faut savoir s’exprimer clairement et avoir un bon esprit d’équipe.

As-tu des projets qui te tiennent particulièrement à cœur pour la suite de ta carrière?
Sur Smurfs, j’ai demandé à redevenir Animatrice Senior. Je trouve que l’alternance entre le poste de Lead et le poste de Senior est saine. Idéalement, j’aimerais que la suite de ma carrière soit rythmée de cette façon.Quand je suis Lead, j’anime beaucoup moins parce que la majorité de mon temps est passée à accompagner mes animateurs. Mon œil s’affine, je deviens plus précise dans la façon de guider mes animateurs, je suis confrontée à des points de vue différents. C’est très enrichissant. Et au bout d’un moment, l’animation ça me manque parce que c’est vraiment ce qui me fait vibrer. Quand je suis Senior, cela me permet de me confronter à nouveau au challenge de l’animation, aux problèmes techniques, aux contraintes de temps. J’apprends toujours.

Un mot de la fin?
En tant que femme dans l’animation, j’ai commencé à une période où je ne voyais pas beaucoup des femmes autour de moi. Mon premier long métrage, ça a été Gravity et j’étais la seule femme de toute l’équipe d’animation. Je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite, mais un jour, j’ai regardé la photo de l’équipe d’animation et j’ai vu que j’étais la seule fille. Il y avait des femmes en production et dans d’autres départements mais en Animation, j’étais la seule. Au cours de ma carrière, j’ai eu la chance d’être inspirée par quelques femmes, elles m’ont donné confiance en moi. Aujourd’hui, je vois de plus en plus de femmes à des postes de responsabilité et c’est génial.

En fait, j’ai envie de dire à toutes les femmes qui étudient en ce moment qu’il ne faut pas hésiter, il faut y aller. Plus nous serons présentes à des postes à responsabilités, plus nous inspirerons d’autres femmes à se lancer également!